Moi, Pallas Athènè


           
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Texte grec (traduction)

 

 

Extrait du Discours prononcé à l'inauguration de la statue d'Ernest Renan à Tréguier

(Anatole France - 13 Septembre 1903)

 


 

Elle dit :

— Je suis la Sagesse. Il est difficile aux hommes les meilleurs de me reconnaître dès l'abord, à cause de mes voiles et des nuées qui m'enveloppent, et parce que, semblable au ciel, je suis orageuse et sereine. Mais toi, mon doux Celte, tu m'as toujours cherchée, et chaque fois que tu m'as rencontrée, tu as mis ton esprit et tout ton cœur à me reconnaître.

Tout ce que tu as écrit de moi, poète, est véritable. Le génie grec me fit descendre sur la terre, et je la quittai quand il expira. Les barbares, qui envahirent le monde ordonne par les lois, ignoraient la mesure et l'harmonie. La beauté leur faisait peur et leur semblait un mal. En voyant que j'étais belle, ils ne crurent pas que j'étais la Sagesse. ils me chassèrent. Lorsque, dissipant une nuit de dix siècles, se leva l'aurore de la Renaissance, je suis redescendue sur la terre. J'ai visité les humanistes et les philosophes dans leurs cellules, ou ils gardaient précieusement quelques livres au fond d'un coffre, les peintres et les sculpteurs dans leurs ateliers qui n'étaient que de pauvres boutiques d'artisans. Quelques uns se firent brûler vifs plutôt que de me désavouer. D'autres, à l'exemple d'Érasme, échappaient par l'ironie à leurs stupides adversaires...........

 

 L'un d'eux, qui était moine, riait parfois d'un rire si gros en contant des histoires de géants, que mes oreilles s'en seraient offensées, si je n'avais pas su que parfois la folie est sagesse. Peu à peu, mes fidèles grandirent en force et en nombre. Les Français, les premiers, m'élevèrent des autels. Et tout un siècle de leur histoire m'est dédié.

« Depuis lors, depuis que la pensée, dans ses hautes régions, est libre, je reçois sans cesse l'hommage des savants, des artistes et des philosophes. Mais c'est par toi, peut-être, que me fut voué le culte le plus austère et le plus tendre ; c'est de toi que j'ai reçu les plus pures et les plus ferventes prières. Sur ma sainte Acropole, devant mon Parthénon dévasté, tu m'as saluée dans le plus beau langage qu'on ait parlé en ce monde, depuis les jours où mes abeilles déposaient leur miel sur les lèvres de Sophocle et de Platon.

 

« Les immortels doivent plus qu'on ne croit à leurs adorateurs. Ils leur doivent la vie. C'est un mystère auquel tu fus initié. Les dieux reçoivent leur aliment des hommes. Ils se nourrissent de la vapeur qui monte du sang des victimes. Tu sais qu'il faut entendre par là que leur substance se compose de toutes les pensées et de tous les sentiments des hommes. Les offrandes des hommes bons nourrissent les dieux bons. Les noirs sacrifices de l'ignorance et de la haine engraissent les dieux féroces. Tu l'as dit : les dieux ne sont pas plus immortels que les hommes. Il y en a qui vivent deux mille ans, courte durée si on la compare à celle de la terre, ou seulement à celle de l'humanité, moment imperceptible de la vie des mondes. En deux mille ans, les soleils ardemment lancés dans l'espace n'ont pas seulement eu l'air de bouger.

 

« Moi, Pallas Athènè, la déesse aux yeux clairs, je te dois de vivre encore. Mais c'était peu de prolonger ma vie : je plains les dieux qui traînent dans les fades vapeurs d'un reste d'encens leur pâle et morne déclin. Tu m'as rendue plus belle que je n'étais et plus grande. Tu m'as nourrie de ta force et de ta doctrine, et par toi, par ceux qui te ressemblent, mon esprit s'est élargi jus qu'à pouvoir contenir l'univers de Képler et de Newton.........

 

 

Anatole France

 

 

 

 


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